Archives mensuelles : mars 2021

El-Warsha Théâtre, lutte pour la survie

Les Oiseaux du Fayoum © Nabil Boutros

Lettre ouverte, transmise par Hassan El-Geretly, metteur en scène et directeur de la troupe El-Warsha Théâtre, au Caire :

À mes collègues artistes et directeurs.trices de théâtre, de France et d’ailleurs,

Depuis trente-cinq ans, El-Warsha ne s’est pas contenté d’être une simple réplique de la culture occidentale, même si celle-ci l’a nourrie dans la seconde moitié du XXème siècle et que, par les grands textes qu’elle s’est appropriés, elle a construit son identité propre. La troupe a travaillé la langue vernaculaire et développé des formes scéniques puisant dans les cultures ancestrales que sont le conte, la Geste Hilalienne, le chant et la variété des formes musicales d’Égypte et du Moyen-Orient, les arts du bâton qu’on trouve déjà représentés dans les tombes de la vallée du Nil, les marionnettes. L’éducation artistique et le travail social développé avec les jeunes, dans les villages de Moyenne-Égypte en partenariat avec les centres culturels locaux et régionaux ainsi que la transmission aux jeunes générations d’artistes, sont aussi au centre de notre action.

Confrontés à une diminution drastique des subsides de la part des centres culturels étrangers, des fondations internationales et des organisations intergouvernementales, ainsi qu’à l’annulation des tournées à l’étranger, notamment en France, nous nous trouvons aujourd’hui au bord du vide. Comment exister sans volonté politique de la part des pouvoirs publics ? C’est tout simplement impossible, vous, en France, êtes bien placés pour le savoir.

Si je lance cette bouteille à la mer pour attirer votre attention sur la situation de la troupe, c’est dans un esprit de solidarité et pour créer une dynamique autour d’un mouvement qui commence à se dessiner dans mon pays, celui des compagnies indépendantes avec toute leur vitalité – nombre de jeunes aujourd’hui s’y risquent – mais qui se trouve tragiquement suspendu dans sa course. Le théâtre en Égypte se doit d’être soit commercial, soit soumis aux pouvoirs publics dans un rapport de dépendance, il n’existe aucun entre-deux. Ce rôle de garde-fou rempli par les pouvoirs publics en France, et qui permet le développement de la création et de l’innovation artistique ainsi que la reconnaissance du travail accompli, est chez nous totalement absent.

Pour que El-Warsha puisse poursuivre sa route, toute collaboration, partenariat et /ou diffusion dans l’un de vos théâtres ou festivals nous serait précieux, même si, compte tenu de la pandémie, j’ai conscience que la situation des institutions théâtrales françaises, a sa part de difficulté. Dans tous les cas, je me réjouirais d’échanger avec vous sur ces sujets car, selon moi, il serait plus dangereux de laisser ces questions dans le silence.

En vous remerciant de votre attention et vous adressant mes salutations distinguées et cordiales.

Hassan El-Geretly / e-mail : hgeretly@hotmail.com

Zawaya © Nabil Boutros.

Cf. « Al-Ahram Hebdo » 17-23 février 2021 – Article de Nevine Lameï, El-Warsha lutte pour la survie – http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/5/25/34167/ElWarsha-lutte-pour-la-survie.aspx

Mobilisation. Bachelot est venue les mains vides, l’occupation de l’Odéon se poursuit

© Magali Cohen/Hans Lucas via AFP

Article de Marie-José Sirach, dans L’Humanité, le 8 mars 2021.

L’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, est occupé par une cinquantaine d’intermittents tandis que, partout en France, la colère monte dans le secteur de la culture mais aussi ceux du tourisme et de l’événementiel.

La ministre de la Culture s’est invitée à l’Odéon. Samedi soir, à 21 h 30, sans prévenir personne, pas même sa conseillère sociale qui est arrivée bien après. Pour Rémi Vander-Heym, responsable du Synptac-CGT (Syndicat des professionnels du théâtre et des activités culturelles) : « Elle est venue mais n’avait rien à nous annoncer. Elle se veut toujours rassurante mais n’avance aucune garantie sur rien, se contentant des mêmes formules creuses qu’elle nous répète en boucle depuis août. Or, elle a entre les mains toutes nos propositions chiffrées depuis des mois. « Ça va venir », nous répète-t-elle. Mais, pendant ce temps, la situation des intermittents ne cesse de se dégrader. » Et puis la ministre s’en est allée.

Elle est venue les mains vides, mais sa visite témoigne de la fébrilité du gouvernement qui craint l’effet de contagion de cette occupation. Depuis jeudi 4 mars 2020, soit un an après la mise à l’arrêt du monde de la culture, à l’exception d’une année blanche jusqu’en août 2021, aucune sortie de crise n’est à l’étude Rue de Valois. Pire, la réforme de l’assurance-chômage qui se met en place à la hussarde ces jours-ci va pénaliser encore plus les chômeurs. La petite éclaircie automnale qui a permis la réouverture des salles de spectacle, de cinéma et des musées, aura été de courte durée, provoquant un immense désarroi chez tous les professionnels puis l’incompréhension et désormais une colère devant des annonces de soutien jamais suivies d’effets.

« C’est comme si la culture était devenue clandestine » « L’enjeu de la reconduction de l’année blanche pour les intermittents est crucial. Aucun dispositif sérieux d’accompagnement n’est annoncé pour les 110 000 salariés qui relèvent de l’intermittence, alors que, désormais, tous ont vu leurs revenus diminuer de moitié », poursuit le responsable de la CGT spectacle. Le syndicat demande « un plan de relance fléché vers l’emploi artistique » et le chiffre à 115 millions d’euros, « qui permettraient de financer dix jours de travail pour 70 000 intermittents ». La situation est tout autant dramatique pour tous les autres salariés qui ne relèvent pas de l’intermittence mais qui travaillent dans le champ de la culture. Le fameux « ruissellement » est à sec. Du moins pour les intermittents et tous les précaires.

Depuis jeudi, l’occupation de l’Odéon est reconduite et des appels à venir soutenir cette action tous les jours à 14 heures sur le parvis du théâtre commencent à faire boule de neige. À Paris mais aussi ailleurs, dans de nombreuses villes de France, une chaîne de manifestations solidaires se forme, maillon après maillon : Tarbes, Pau, Bayonne, Ploërmel, Grenoble, Marseille, Vannes, Lyon, Bordeaux… À l’intérieur de l’Odéon, ils sont désormais une trentaine d’artistes et techniciens du spectacle. Personne, à l’exception de quelques journalistes, ne peut franchir la porte. Aucun relais possible pour ceux qui occupent les lieux depuis le 4 mars.

Malgré la fatigue, la détermination reste intacte. Thomas, musicien, harmoniciste, occupe l’Odéon : « Mon dernier concert déclaré remonte au 14 octobre. C’est comme si la culture était devenue clandestine ». Quand tu n’as plus accès à la scène, au public depuis autant de mois, tu deviens quoi ? Actuellement, je perçois 1 300 euros d’Assedic. Jusqu’au 31 août. Parce que j’étais dans les clous pour renouveler mes droits. Mais, pour tous ceux pour qui la date anniversaire est tombée plus tard, c’est fini, ils n’ont pas leurs heures. Comment pourrais-je me considérer tiré d’affaire quand tant de mes potes vont se retrouver le bec dans l’eau ? Et si les copains sont obligés de bosser chez Amazon ou McDo pour payer leur loyer, ils n’auront plus de temps pour jouer, répéter. Si je ne suis pas dans cette charrette-là, je serai dans la suivante. » Christelle n’est ni artiste ni technicienne. Elle est guide-conférencière et bénéficie, via les réseaux sociaux, du soutien de tous ses collègues. Sur sa petite pancarte qu’elle porte autour du cou, elle a écrit : « SOS urgence. Intermittents, tourisme, événementiel, les grands oubliés ». Elle cumule divers employeurs : musées, agences de voyages, tour-opérateurs. Entre les deux confinements, elle a un peu travaillé pour le musée de l’Espace. « Les participants étaient limités à 9. Pour les visites en extérieur, à 5. Mais, depuis fin octobre, plus rien. Pourquoi fermer les musées alors que les règles sanitaires strictes étaient appliquées ? En quoi est-il moins dangereux d’aller faire ses courses que de visiter un musée. » Pour les guides-conférenciers, pas d’année blanche. Certains ont pu prétendre aux 1 500 euros d’aide gouvernementale mais sous d’importantes conditions. Elle a vu certains de ses collègues « obligés de vendre leur maison ou d’autres, à 40 ans passés, retourner vivre chez leurs parents ». Ou tout bonnement changer de métier. Or, ce métier, « on l’a dans la peau. C’est pas pour l’argent qu’on le fait. Quand on bosse normalement, on gagne 1 500 euros ». Si elle est là depuis jeudi, c’est parce qu’elle est convaincue qu’il faut « l’union de tous les travailleurs précaires, au-delà des seuls intermittents. Faire bloc, ne pas se diviser… On a une chance de gagner, de faire entendre nos revendications si on se met tous ensemble ».

Robin Renucci, pour l’Association des Directeurs de CDN, a exprimé, hier sur les marches de l’Odéon, son soutien au Mouvement.

Marie-José Sirach, L’Humanité, 8 mars 2021
© Magali Cohen / Hans Lucas via AFP